Terres de reve - v420 - extraits

Aokura et Nahru se stoppèrent. Devant eux, deux hommes en uniforme militaire gris venaient d’apparaître dans la rue. L’un d’eux avait encore son pistolet dressé vers le ciel. Tandis que les quelques civils s’éloignaient à pas lents du petit comité, les deux hommes s’approchèrent doucement des deux étrangers, un sourire aimable sur le visage.

    -          Helem s’pas un club med’ pour les bouseux, déclara le tireur qui venait de ranger son arme, un grand brun qui devait avoir une trentaine d’années. Qu’est-que qu’vous amène ici ?

    -          Wesh vazy, s’pas ton deal, gros, répondit calmement Aokura, tandis que le second homme, chauve et presque aussi large que grand, commençait à épier Nahru avec intérêt.

Celle-ci se cacha derrière la cape du sorcier, bien contente que ce dernier apprécie les vêtements amples. Amusé par sa réaction, l’homme chauve lui lança :

    -          Genre stop flipper, là on va pas t’bouffer ! Par contre, on aimerait bien causer, s’tu vois c’que j’veux dire. Azy, t’peux t’casser, l’autre grand hippie ? demanda-t-il à Aokura.

    -          C’est juste mort, en fait, rétorqua le sorcier avec froideur. On vous laisse, on s’arrache…

Aokura recommença sa marche en dépassant les deux hommes, Nahru sur les talons. Les deux hommes les regardèrent s’éloigner. Le plus grand des deux sortit à nouveau son pistolet. Mais avant qu’il ait pu mettre Nahru en joue, Aokura s’était retourné et avait fondu sur eux.

Lorsque Nahru se retourna à son tour, elle retint un cri de stupeur. Elle n’eut absolument pas le temps de comprendre ce qui se déroulait sous ses yeux. Elle ne vit qu’une ombre blanche frapper les hommes dans tous les sens, armée d’un immense sceptre d’ébène. Il était surmonté d’une sphère bleue qui luisait d’un éclat adamantin, et déchaînait un pouvoir qu’elle n’avait encore jamais pu contempler.

Nahru garda son regard rivé sur la scène tandis qu’un vent glacial venait jusqu’à elle, comme provenant du sceptre lui-même. Elle n’avait même pas compris d’où Aokura avait sorti son arme. Les pistolets des hommes s’étaient retrouvés en miettes dès la première seconde et, démunis, écroulés au beau milieu de la rue, une croix taillée sur chacune de leurs poitrines, les deux soldats se retrouvèrent bien vite en position de faiblesse. Aokura pointa l’extrémité de son sceptre, affûtée comme une lance, sur l’homme brun qui tressaillit.

    -          Bah c’est comme ca qu’on cause a Neos ? demanda-t-il d’une voix glacée. D’où tu la touche, qu’est-ce tu veux ?

    -          Ferme-la, Reculé d’mes burnes, et aboule la ptite meuf genre s’tu veux garder ta tête ! cracha l’homme chauve en portant sa main à sa veste.

En réponse, il reçut un violent coup de sceptre qui lui heurta si violemment le crâne qu’il retomba inerte aux côtés de son camarade, les yeux révulsés. L’homme brun regarda Aokura avec un mélange de colère et de peur. De fines gouttes de sueur commençaient à perler sur son front.

    -          Vazy on s’était trop fait chier pour la pécho, mec, maugréa-t-il, mais vachement classe comme echappat… échappit... fuite. Genre si l’plan se s’rait pas barré en couilles, l’aurai cramé comme tout l’monde, dans l’incendie d’son patelin de merde, pis basta…

    -          Incendie ?... répéta Nahru, terrorisée. Quel…

    -          Bah ouais, ton village c’est du compost maint’nant, répliqua l’homme avec dédain. Avec ses pelos et tout. Genre ton père y voulait qu’on croie qu’il était encore porteur ; mais c’est mort fait pas nous prendre pour des bites non plus, hein. Au four avec la reum, et nous on trace pour t’pécho…

Aokura sentit une colère incommensurable monter en lui, tandis qu’il réfléchissait à toute allure. Etait-ce bien vrai ? Etait-ce possible ? Hiéron était mort ? Son village tout entier aurait péri dans les flammes ? Devait-il croire ces deux hommes ? Mais s’ils étaient au courant pour la Passation de Nahru, cela ne signifiait-il pas qu’ils étaient effectivement très bien renseignés, trop même ?

Hiéron avait-il donc visé juste ?

Aokura ferma les yeux, frémissant de rage. Derrière lui, Nahru n’avait pas encore vraiment réalisé ce que l’humain venait de dire. Elle refusait si fort d’y croire qu’elle était tentée de lui demander la vérité. Elle ouvrit la bouche, tremblante de la tête aux pieds, mais ne parvint à émettre aucun son. Aokura, en revanche, fit un pas supplémentaire vers l’homme en lui pointant le sceptre sur la gorge, tant et si bien que ce dernier sentit des frissons lui remonter jusqu’aux tempes.

    -          Wesh l’autre camé… siffla Aokura avec une voix aussi glaciale que l’air qui émanait de son arme. Répète genre, t’a foutu quoi au vieux truc et à son bled ?...

*  *  *

Sa vue commença à se brouiller, et elle eut soudain la sensation de manquer d’oxygène. Ses mains tremblèrent lorsqu’elle tenta de les apporter à son cou, et juste avant de s’écrouler, elle sentit un bras la rattraper.

Puis ce fut le noir.

- Yo, niggah !

*  *  *

Il expira de nouveau sa fumée malodorante. Nahru plissa le nez.

    -          Vazy c’est quand t’arrête de fumer ton shit de merde, là ?

    -          C’est mort, j’arrête pas, grosse. répliqua le jeune sorcier. Mon daron fumait la même jusqu’à c’qui sache plus rouler un splif, et genre même s’tu trouves ça con bah j’vais faire la même.

    -          Ouais c’est complètement con ouais…

    -          Tire une taff, t’sais, ça va t’détendre et tout, faut bien commencer, hein. T’aurai plus la tronche d’une gosse de 10 piges.

    -          Ta mère, j’en ai quinze ! s’écria Nahru en se redressant sur la table. Pis j’préfère avoir la gueule d’une gamine plutôt que celle d’une vieille loque comme toi !

Aokura cessa de fumer, interdit. C’était bien la première fois qu’on le traitait de la sorte.

    -          Mais genre, des « jeune connard », j’en ai eu la masse, dit-il, par contre qu’on m’traite de vieux a 22 ans ca m’nique un peu.

Nahru le dévisagea avec stupeur.

    -          …Vazy, t’a 22 piges ? Sérieux ?

    -          S’pour ça qu’faut qu’t’arrêtes de me vouvoyer, conclut Aokura en portant de nouveau son calumet à ses lèvres.

*  *  *

Tandis qu’ils conversaient, Nahru remarqua que deux têtes dépassaient de la petite demeure. Deux jeunes Loups, oreilles dressées, avaient visiblement envie de prendre part à la conversation – ou du moins, de ne pas en rater une miette.

Rena s’en rendit néanmoins compte et se tourna vers les deux curieux, le regard sévère. Les deux jeunes Loups baissèrent la tête sans la quitter des yeux.

    -          Luna, Ludovic, bande de p’tit cons. lança-t-elle froidement. Vous arrêtez de faire les débiles, et vous vous ramenez direct. Grouillez-vous d’dire coucou au Seigneur.

Les deux Loups sortirent de la maison à petits pas. Ils étaient eux aussi très peu vêtus, et couverts des mêmes tatouages tribaux que Rena et Kerem. Ils s’inclinèrent très bas devant Aokura.

    -          Wesh z’avez trop grandi les mioches, commenta le sorcier en les observant avec insistance. Quel âge, genre ?

    -          Dix-sept ans, Seigneur, répondit la dénommée Luna en s’inclinant encore plus bas, imitée par Ludovic.

Nahru les contempla avec un mélange de curiosité et de fascination. Elle avait presque le même âge qu’eux, et pourtant, ils semblaient déjà être de robustes combattants, à en juger par les nombreuses dagues qu’ils portaient aux hanches ou dans le dos. Les tatouages qui se dessinaient sur leur corps mettaient en valeur les reliefs discrets de leur musculature, imposante pour des jeunes de leur âge.

Rena cessa d’observer les gestes de Luna et Ludovic pour se tourner de nouveau vers Aokura :

    -          Nous allons prévenir Anetham de votre venue, dit-elle. Désirez-vous une escorte ?

    -          Nan t’inquiètes, c’est bon pars devant et tout, on arrive, wesh.

    -          Vous êtes surs ?

    -          Ouais t’inquiète ça ira.

    -          Vraiment ?

    -          Azy tu m’soule j’t’ai dit que c’était ok.

    -          Vous voulez vraiment pas d’escorte ?

    -          Va t’faire foutre.

    -          Ah, d’accord.

Rena salua très bas Aokura ; les deux jeunes Loups l’imitèrent. Puis ils repartirent tous trois en direction du cœur de la forêt, circulant agilement entre les épais troncs d’arbre. Luna jeta un dernier regard derrière elle, puis se concentra à nouveau sur sa mission et partit à la poursuite de ses deux compagnons.

*  *  *

L’un des gardes d’Anethie s’avança dignement vers Aokura, et contrairement à Rena ou aux jeunes Loups, il ne s’inclina pas devant lui.

    -          Sorcier Aokura, dit-il en guise de salut.

Ce dernier lui répondit par un petit signe de la tête.

    -          Wesh gros, j’voudrais causer avec l’papa et tout, dit-il, bien qu’il sût que le garde devait certainement déjà être au courant.

    -          Nous allons vous escorter jusqu’au Seigneur Anetham, répondit le Loup en s’éloignant vers le plus grand bâtiment, au fond de la cité.

    -          Vous faites chier avec vos escortes de merde. J’vais prendre la BMW, comme d’hab, t’viens, la gosse ?

Ils traversèrent Anethie, accompagnés des gardes qui abandonnèrent bien vite l’idée de suivre le rythme de la grosse cylindrée d’Aokura. Les Loups de la cité les regardaient curieusement à leur passage.

*  *  *

Le vieux Loup se tut pour réfléchir un instant. Debout près de l’entrée de la pièce, les ministres n’osaient pas esquisser ne fut-ce qu’un geste pour ne pas perturber l’entrevue, et Aokura demeurait totalement imperturbable, les yeux rivés dans ceux de son interlocuteur.

    -          C’est pas tout au fait, reprit alors le sorcier tandis qu’Anetham levait à nouveau le regard vers lui. J’crois qu’y a un groupe de branleurs qui veulent buter Nahru. Ah, tiens, salut Nahru.

Cette dernière ne put s’empêcher de frémir en se remémorant son excursion à Helem. Anetham fronça les sourcils en constatant que sa jeune invitée s’était subitement tendue, ses bras tremblotants serrés autour de son corps frêle.

    -          Gros, s’est passé quoi ? questionna Anetham.

    -          Bah y’a deux blairals avec des flingues qu’ont voulu la ken, en fait, répondit Aokura en jetant un coup d’œil discret à sa protégée. Z’ont dit qu’ils voulait buter tous les Esprits, du coup bah ils veulent buter les Porteurs.

Anetham croisa les bras, le front plissé. Mais Nahru n’osait toujours pas relever les yeux, essayant vainement de ne pas ressasser ces souvenirs qui la terrifiaient.

    -          Mec, t’a fait quoi des deux connards ? questionna Anetham en levant de nouveau les yeux vers Aokura.

    -          J’les ai butés, wesh.

Anetham fronça les sourcils.

    -          Et genre boloss, comment qu’on fait pour leur poser des questions du coup ? grogna-t-il. Azy tu m’soule, t’est censé être un mage quoi bordel, t’est pas responsable, wesh. C’est vraiment d’la merde comment qu’t’a fait.

    -          Mais ferme ta mère en fait, s’tu voulais qu’je t’ramène tous les bougnoules qui veulent toucher le boule de la gamine fallait m’passer un taser, moi j’ai un bâton d’merde et c’est tout, vieux con ! Vazy, comment qu’tu m’agresse alors qu’ils m’on tiré dessus les batar, eux ils avaient des flingues, tavu ? ‘Tain ça m’énerve, ça.

Un silence tendu envahit à nouveau la pièce. Aokura et Anetham se regardaient sans sourciller ni mot dire ; mais les flammes qui dansaient dans leurs yeux en disaient long quant à leur état de pensée respectif.